« Il faut penser que chaque tir est une mise à l’épreuve de son être. Il faut s’abandonner et mettre sa vie en question dans chaque tir. » — Anzawa Sensei
Pour évoquer ce qu’est le kyūdō, nous pourrions parler de l’esprit du zen et des concepts de Vérité, Bonté et Beauté (Shin, Zen, Bi) qui sont les valeurs absolues recherchées dans la pratique du kyūdō…
Ou encore nous lancer dans une profonde réflexion sur le non-ego et le détachement, sur l’existence de cette cible qu’il ne faut surtout pas désirer, mais tout de même atteindre…
Parler aussi du lâcher-prise qui aboutit au départ involontaire de la flèche, cette dernière se retrouvant alors dans la cible avant même d’avoir été tirée… Et de cette technique qui nous apprend à monter les bras tout en baissant les épaules, nous demande de pousser la corde et de tirer l’arc, nous éveille à ne pas utiliser la force, même – et surtout- pour ouvrir un arc puissant…
Mais à tous les discours possibles, préférons les paroles d’Onuma Sensei, Hanshi 9e dan :
« Ne vous laissez pas aller à croire que le kyūdō est difficile à apprendre…
Fondamentalement, c’est un art simple, avec juste huit mouvements de base […] L’exercice du kyūdō ne vous demande que d’aligner votre corps devant la cible, de vous tenir droit, de rassembler vos esprits, et de tirer en ayant un cœur pur et un dessein clair. » — Onuma Sensei
SHIN, ZEN, BI : Vérité, Bonté, Beauté
« Le caractère unique du kyūdō ne peut se comprendre seulement dans le cadre du sport et de la technique parce qu’il renferme un côté plus profond aussi. Les pratiquants de kyūdō doivent malgré tout être conscients de sa dimension spirituelle.
Comprendre la relation entre ces deux aspects a un impact dans notre vie. On sait qu’atteindre la cible est très important au kyūdō. Toutefois, on se rend compte souvent qu’à force d’essayer d’atteindre la cible, on perd la relation avec soi-même. Nous savons que cette attitude n’est pas la bonne. Pour beaucoup de gens, cela peut sembler une notion déraisonnable, mais rien n’est plus mauvais en kyūdō que le tir basé sur le seul fait d’atteindre la cible. Dans notre vie quotidienne aussi, nous faisons souvent l’expérience de ce genre d’attitude; la réalité de ce désir est plus évidente dans notre tir, mais à travers notre pratique, on peut comprendre l’importance d’avoir une attitude juste envers nos désirs et nos vies pourront en être plus profondément nourries.
L’aspect technique et l’aspect spirituel, bien que différents en apparence, une fois unis et intériorisés, ne forme plus qu’un, sans distinction entre eux. Cela amènera une noblesse dans l’attitude et la pratique. »
SHIN : Vérité (sincérité)
Dans le kyūdō, la Vérité est la réalité qui précède le tir. La Vérité ne saurait tromper. La flèche vole droit vers la cible. C’est la Vérité. Toutefois, on se heurte à un paradoxe éternel qui est que la Vérité ne peut se comprendre. On peut en avoir l’intuition, mais on ne peut la définir. Par conséquent, nous devons sans cesse ré-examiner notre propre relation au tir, étant donné que c’est nous qui déformons et nous éloignons de la Vérité. La Vérité se trouve au-delà de nous-mêmes. Nous devons être attentifs à tout ce qui, dans une situation donnée, nous mène à la Vérité. On peut trouver une réponse dans la vitalité et la vie de l’arc (Yumi no Sae), le son de la corde (Tsurune) , et ce moment où la flèche atteint la cible (Tekichu). Ce sont là des échos de la Vérité dans la Réalité. C’est cette recherche que représente la voie du kyūdō (Michi), au cours de laquelle, à travers chaque tir, l’homme cherche à s’unir avec l’absolu.
ZEN : bonté
La bonté, dans le kyūdō, est envisagée comme une valeur morale. On acquiert, à travers la discipline de l’Etiquette (Rei), une maîtrise de soi qui élimine les conflits. Cet état de dignité et de bienveillance éclairée représentait le « véritable gentilhomme » (« Kunshi »), qui était l’idéal de la culture chinoise. Cette manière de pensée, qui trouve sa source dans le Confucianisme, met l’accent sur l’importance de ne pas perdre la maîtrise de soi. On désigne cet état d’esprit sous le terme de Heijoshin, qui signifie état d’esprit ordinaire, de tous les jours, impliquant une relation harmonieuse et calme à son environnement. Ce n’est donc pas un état extraordinaire, mais la tranquillité d’âme et la maîtrise de soi que l’on devrait avoir au quotidien. Nous avons besoin, dans notre vie, d’un cadre moral à l’intérieur duquel nous pouvons vivre dans la paix et la sérénité avec les autres. Des réactions négatives aux autres troublent la pratique du kyūdō. Il faut, au contraire, cultiver la bonté (Zen) vis-à-vis des autres. Cela aura des répercussions sur la pratique du kyūdō et sur sa contribution positive à la société.
BI : beauté
Ce qui est beau comble les sens. Atteindre à la beauté représente le but suprême de tous les arts. C’est une forme de Vérité qui s’exprime à travers le Bon. Dans le kyūdō, qui considère l’arc comme la représentation de la beauté esthétique et spirituelle, ces qualités s’expriment au moyen du « tir de cérémonie » (Sharei), cette appellation étant suggérée par la forme rigoureuse de ce tir dont la solennité se combine avec l’esprit du Shintaishuusen (harmonie dans tous les mouvements) pour éveiller notre sens du beau, à travers le rythme harmonieux de mouvements obéissant à un esprit présent et serein.
Calligraphies © Misuzu Awata